Dans le cadre d’un doctorat commencé en 2023, portant notamment sur la constitution de l’épigraphie arabe comme discipline, et ses évolutions depuis la fin du XIXe siècle, les archives du fonds Solange Ory (1927-2018) représentent une mine de renseignements pour le demi-siècle passé. Enseignante-chercheuse d’Aix-Marseille Université, par ailleurs passionnée de photographie, elle a en effet laissé derrière elle un grand nombre de documents en cours de classement à la médiathèque de la MMSH et en particulier les diapositives issues de son propre travail de terrain, et pour partie celui de ses étudiants.
En vue d’un séjour en Jordanie en octobre 2024, les boîtes de diapositives correspondant à ce pays ont été numérisées par Christian Champaloux, révélant des clichés d’une grande qualité. Ces photographies documentent à la fois les palais du désert (Qaṣr al-Ḫarrāna, Quṣayr ‘Amra, al-Azraq, Qaṣr al-Ḥallābāt, Qasṭal, Mušattā[1]), à côté de sites plus connus comme la citadelle d’Amman ou Pétra. Enfin, on y trouve des images de personnes, d’animaux, de paysages, et d’inscriptions de la ḥarra, région basaltique du nord-est du pays regorgeant de textes épigraphiques arabes d’époque islamique, aux côtés de textes en langues plus anciennes (safaïtique notamment).
Si certains de ces sites (Ḫarrāna, Quṣayr ‘Amra, al-Azraq) semblent s’être figés dans le temps après le passage de Solange Ory, car n’ayant pas connu d’intervention ultérieure, il n’en est pas de même pour tous. À titre d’exemple, ses diapositives, datées pour certaines entre 1974 et 1984, illustrent l’état de conservation du complexe de Qaṣr al-Ḥallābāt ainsi que les travaux de reconstruction menés par le Département des Antiquités jordanien en 1974-1975 sur les bains omeyyades de Ḥammām al-Ṣaraḥ, inclus dans ce complexe. Dans les années 1960, l’implantation d’un nouveau village dans les environs avait effectivement donné lieu au pillage et au quasi-effondrement du monument. À la suite d’une nouvelle reconstruction à partir des années 2000, financée par l’agence espagnole AECID et la fondation Gerda Henkel, un panneau sur le site indique que l’intervention des années 1970, ayant eu recours à du mortier de ciment, s’était avérée inadéquate. Le bâtiment a donc été à nouveau démantelé et consolidé à l’aide de mortier de chaux pour préserver les restes de la voûte originale. Ce panneau est illustré par des photos de 1927, 1960, 2007 et 2020, auxquelles celles de Solange Ory ajoutent donc une étape dont il ne reste pas de trace par ailleurs.
Photographie du site Qaṣr al-Ḥallābāt prise par Solange Ory, 1974 hal-04818461
En comparaison, une photographie actuelle du Qaṣr al-Ḥallābāt de nos jours (pas de date précise de prise de vue) est visible sur le site Madain project : « Qasr al-Hallabat Mosque » [en ligne] https://madainproject.com/qasr_al_hallabat_mosque (consultation le 2 décembre 2024).
Photographie de Ḥammām al-Ṣaraḥ prise par Solange Ory, avril 1974. hal-04831962
Photographie du site Ḥammām al-Ṣaraḥ par Fanny Rauwel, octobre 2024
Extrait du panneau informatif à Ḥammām al-Ṣaraḥ, photographie par Fanny Rauwel, octobre 2024
En plus de leur intérêt pour se figurer, une fois sur place, les transformations urbaines et patrimoniales des lieux visités, les photos du fonds Ory témoignent de la curiosité et de la sensibilité de leur autrice, au-delà du patrimoine bâti, pour les sujets rencontrés. Ainsi, dans le dossier intitulé « Petra », trouve-t-on, à côté des parois sculptées, des images de fleurs, ou encore d’un enfant qui – peut-on supposer – vend des artefacts glanés sur le site. On la voit aussi elle-même à cheval, avec son accompagnateur, et en arrière-plan le paysage rocheux caractéristique de Pétra.
Niches dans le rocher et végétation à Petra, photographie prise par Solange Ory, 1974 hal-04832007
Enfant déballant des objets à Petra, photographie prise par Solange Ory, 1974 hal-04832024
Solange Ory à cheval et de son accompagnateur. Fonds Solange Ory, 1974 hal-04832039
Enfin, dans le seul dossier de diapositives ne contenant aucune précision de date ni de lieu, a-t-on pu reconnaître, outre d’autres photos des palais omeyyades, certains paysages typiques de la ḥarra, vaste désert couvert de pierres basaltiques. Solange Ory semble y avoir photographié pêle-mêle quelques graffiti arabes, des paysages entre ḥarra (caractérisée par de grosses pierres noires), ḥašad (éboulis de pierres noires plus petites) et ḥamād (désert calcaire jouxtant la ḥarra), ainsi que des scènes de vie quotidienne impliquant les habitants et leurs troupeaux. Ces scènes, à l’exception peut-être de certaines tendances vestimentaires, et d’indices de modernité comme l’évolution des voitures ou l’introduction de panneaux solaires, trouvent encore tout à fait leur équivalent aujourd’hui.
Pierre basaltique inscrite d’un graffito sur lequel on devine une basmala et une demande de pardon à Dieu, photographie par Solange Ory, 1974 hal-04832695 – En détail dans l’image “à la une”.
Hommes fumant le narguilé sur fond de ḥašad, photographie par Solange Ory, 1974. hal-04832672
Moutons et berger en bordure de ḥarra, photographie par Solange Ory, 1974 hal-04832658
Moutons, berger, véhicules et panneau solaire à gauche, photographie par Fanny Rauwel, octobre 2024
[1] Les quatre premiers se situent entre 60 et 100 km à l’est d’Amman, les deux derniers à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Fanny Rauwel (12 décembre 2024). Les photographies jordaniennes du fonds Solange Ory, témoins cinquantenaire des permanences et des transformations d’un pays. Archives de la recherche & Phonothèque. Consulté le 13 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12wew