C’est l’été 1982, la guerre Iran-Irak dure déjà depuis presque deux ans. André Raymond (1925-2011), historien spécialiste des villes ottomanes, se rend en Irak pour une mission de recherche. Le but, visiter Mossoul et Bagdad. Le résultat de ce voyage réalisé en pleine chaleur estivale irakienne (température avoisinant les 40°C dans les deux villes à ce moment-là) est une collection d’environ 240 diapositives couleur portant sur ces deux villes d’Irak. Les diapositives n’ont pas de date ; nous avons retrouvé la trace de ce voyage dans un CV contenu dans les nombreuses boîtes qui composent l’archive papier d’André Raymond. Dans ce CV, Raymond note avoir effectué une mission de recherche en Irak (Bagdad et Mossoul), du 26 juin au 11 juillet 1982. L’historien, qui fit sa thèse de doctorat à l’Université d’Oxford et fut pendant de nombreuses années Professeur à l’Université de Provence Aix-Marseille (en 2012, l’Université de Provence devient Aix-Marseille Université – AMU), a laissé une archive photographique très riche constituée au fil de ses missions de recherche. La collection photographique est composée d’environ 10 000 images des villes de Tunisie, Syrie, Égypte, Algérie, Liban, Libye, et Irak. Presque 1400 de ces photos sont actuellement en ligne sur la plateforme d’archives ouvertes MediHAL, et réutilisables selon les termes de la licence ouverte Etalab. Sur les 168 photos cataloguées, 128 ont été prises à Mossoul et 40 à Bagdad. Les 70 photos restantes ont été écartées car soit trop sombres, soit car il s’agit de plans et images photographiées à partir de livres imprimés, et protégées par des droits d’auteur.
Il semble que la ville du nord de l’Irak ait retenu l’attention de l’historien beaucoup plus que la capitale. Avait-il planifié un voyage plus long mais qu’il avait dû écourter à cause de la situation politique instable en Irak à l’époque ? Avait-t-il commencé sa mission à Bagdad avant de décider qu’il serait mieux de s’éloigner de la capitale et de passer plus de temps dans le nord plus calme, à Mossoul ? Dans tous les cas, il prépare son itinéraire pour les deux villes à l’aide de cartes qu’il annote avec précision. Spécialiste des villes arabes à l’époque ottomane, André Raymond s’intéresse aux structures de la ville et à l’organisation des différentes activités humaines à l’intérieur de ses quartiers, ainsi qu’à la distribution des différentes communautés. Les édifices, notamment mosquées et mausolées présents dans les différents quartiers prennent une place de premier plan dans son exploration visuelle, ainsi que les souk et khan (caravansérails) où se déroule la vie quotidienne.
A Mossoul, c’est la rive gauche du fleuve Tigre qui l’intéresse, là où se trouve la vieille ville et la Grande Mosquée, érigée à partir du XIIe siècle, avec son caractéristique minaret penchant surnommé al-Hadbâ’, « la bossue ». Raymond surligne sur ses plans les structures et axes principaux de cette partie de la ville telle qu’elle se présentait au XVIIIe siècle. On distingue ainsi au centre, la grande mosquée (al-Jâmi’ al-kabîr). Sur la droite, en jaune, le quartier marchand avec les différents souks, et en haut à gauche, entouré d’une ligne bleue, il dessine les contours du quartier juif (Mahallat al-Yahûd) avec la synagogue.

Le quartier des souk et khan est repris sur un autre plan plus en détail, avec numérotation et indication des noms de ceux-ci. Ce sont pour la plupart les lieux visités par Raymond durant son séjour.

Pour Bagdad, c’est la rive droite du Tigre qui fait l’objet de ses explorations, avec la Qaysariyya (quartier des souk), les mosquées (tels que la célèbre Mosquée Haydar-Khana sur l’autant célèbre rue Rachid) et autres bâtiments situés dans la zone de Rusâfa.
Sur le plan, les quartiers chrétiens et juifs sont entourés en bleu. Ces derniers se trouvaient, comme l’explique A. Raymond dans le livre Grandes villes arabes à l’époque ottomane publié quelques années plus tard (1985) et où les plans des deux villes sont reproduits, dans le centre de la ville, à la différence de Mossoul, « où le quartier juif était placé sur la lisière septentrionale de la ville » (cf. p. 114). Cette information est indicative selon l’auteur de l’importance et de l’influence de ces communautés dans la ville de Bagdad par rapport à Mossoul.

Globalement, en les feuilletant, ces photos donnent l’impression de servir principalement un rappel visuel in situ de ce que l’on voit sur les plans. Cela est d’autant plus évident en feuilletant Grandes villes arabes…, dans lequel on ne retrouve pas de photos des villes, mais des plans. La présence d’habitants de tout âge que l’on aperçoit de dos dans certaines photos, immortalisés en train de se promener le long du fleuve, ou de faire leurs courses, ou durant leur journée de travail, ajoute une dimension de réalité et quotidienneté à ces endroits et édifices séculaires qui prennent la part prédominante dans l’archive.
En cataloguant ces photos, l’archiviste réalise qu’elle est en train de publier une instantanée de ces villes à une période particulière. En recherchant les différents monuments pour les identifier, elle découvre que certains d’entre eux ont été détruits durant les multiples guerres qui ont affligé l’Irak en continu jusqu’en 2017 et qui ont vu la destruction d’une bonne partie de ces édifices, certains desquels ont ensuite été reconstruits, d’autres pas, ou pas encore. C’est le cas de la ville de Mossoul, où plusieurs projets ont été engagés dans ces dernières années pour reconstruire certains de ses sites historiques.
Les photos sont consultées régulièrement, elles font écho à des pages sur les réseaux sociaux dans lesquelles des Irakiens et des Irakiennes publient des photos similaires de ces temps et lieux passés, et qui ont d’ailleurs représenté une aide supplémentaire à l’identification des photos prises par A. Raymond. En témoignage de cet échange fructueux, une de ces photos a récemment été réutilisée pour saisir la page Wikipédia en arabe dédiée à l’historien originaire de Mossoul Saʻīd Daywahʹchī (1912-2000) qui pose devant une arche en pierre faisant partie de la forteresse Bash Tabiyya sur le Tigre. L’historien et confrère d’André Raymond fut l’auteur de plusieurs volumes sur l’histoire de sa ville natale ainsi que le premier curateur du musée de la ville de Mossoul, inauguré par le roi Faisal II en 1952.
Vous pouvez participer à l’enrichissement de ces images qui sont en libre accès et apporter des informations supplémentaires là où l’identification des lieux ou noms des édifices n’a pas été possible ou reste imprécise. C’est bien l’un des intérêt de la science ouverte facilitatrice du travail coopératif : chacun et chacune apporte sa pierre à cet édifice en construction.
Sur l’Irak, voir aussi, dans les fonds du secteur Archives de la recherche de la Médiathèque de la MMSH, les images de l’Irak de Lucien Golvin, en cours de traitement.
Crédits photographiques des images “à la une” :
1. Fonds André Raymond (1925-2011) – Irak – Mossoul – Vue de la forteresse du XIIe siècle Bash Tabiyya sur la rive droite du Tigre à Mossoul (1982). Conservé à la Médiathèque de la MMSH, Secteur archives de la recherche – Phonothèque, Aix-en-Provence (hal-04613365v1) Licence Etalab
2. Fonds André Raymond (1925-2011) – Irak – Bagdad – Rue Rachîd (1982) Conservé à la Médiathèque de la MMSH, Secteur archives de la recherche – Phonothèque, Aix-en-Provence (hal-04934652v1) Licence Etalab
3. Fonds André Raymond (1925-2011) – Irak – Mossoul – Grande Mosquée (1982). Conservé à la Médiathèque de la MMSH, Secteur archives de la recherche – Phonothèque, Aix-en-Provence (hal-04773130v1) Licence Etalab
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
MariaLuisa Langella (12 mai 2025). Mossoul et Bagdad, figées l’espace d’un court voyage. Archives de la recherche & Phonothèque. Consulté le 18 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13wqx